Oui, c’est tout à fait possible, il n’y pas de limite de temps, ni de distance. Ils invitent à se demander si toute la population, y compris en Europe, partageait la nouvelle cosmologie naturaliste. Dans mon ouvrage il y a un aspect diffusionniste non pas au sens littéral – car il ne s’agit pas de suivre la diffusion de traits culturels spécifiques ou de tenter une « épidémiologie des représentations », pour parler comme Dan Sperber7 – mais qui résulte d’une attention à la façon dont les choses se transforment tout au long d’un continuum spatial et sans jamais préjuger du sens de l’histoire. Il n'y a pas de cours de chinois sur le site. Keith Thomas décrit par exemple des expéditions au XVIe siècle en vue de massacrer des animaux sauvages – des cerfs dans les domaines aristocratiques –, où pour embêter son voisin on partait faire des chasses sauvages et on massacrait tous ses cerfs. Le XIXe siècle a cette caractéristique particulière que le naturalisme est bien établi parmi les élites et dans les métropoles, c’est l’époque de l’écart maximal entre le naturalisme des élites et ce que ces élites découvrent chez des populations lointaines, alors qu’au XVIe siècle il existait fréquemment des éléments analogistes partagés entre colonisateurs et colonisés. Philippe Descola : Oui, le fait que cela ait commencé aux États-Unis et au Royaume-Uni n’est pas un hasard ; le rapport à l’animal est très anthropocentré ou socio-centré en France, il est conçu comme cela ; je pense notamment à la loi Grammont de 1850 qui condamne les violences publiques faites aux animaux, du fait qu’elles rendent visibles une dégradation de l’idée qu’on peut se faire de l’humain. Je me souviens d’en avoir discuté avec Tim Ingold qui, à propos de cette question, a une position quasiment morale concernant ce qu’il appelle les « chasseurs cueilleurs » – il s’agit ici d’un terme assez générique pour désigner des sociétés qui ont un contact selon lui moins médiatisé avec le monde naturel ou l’environnement. Il y a une rupture, que Keith Thomas a bien montrée ; un décalage paradoxal et qui n’a cessé de s’accentuer – je parle ici en consommateur d’histoire, et pas en producteur – entre l’éloignement des animaux dans le milieu urbain et le développement de la sensibilité à leur égard. Il faut mentionner le travail de Richard Grove et son ouvrage sur « l’impérialisme vert »8. J’ai d’ailleurs consacré la dernière partie de ma leçon inaugurale au collège de France à expliciter mes positions en prenant des exemples empruntés au rapport que diverses sociétés entretiennent à des oiseaux, c’est-à-dire en utilisant les quatre formules que vous mentionnez pour montrer comment elles représentent aussi quatre façons de concevoir et d’entrer en relation avec les oiseaux. Pourquoi toutes ces difficultés à traverser? Désormais cette histoire se diffuse et descend vers les populations amazoniennes du piémont andin alors qu’à la fin des années 1970 elle y était encore inconnue. 1Anthropologue français, disciple de Claude-Levi-Strauss et professeur au collège de France, Philippe Descola est l’auteur d’une œuvre importante qui, au-delà du seul champ de l’anthropologie, nourrit la réflexion de l’ensemble des sciences sociales. IV, L'avènement de la démocratie Par-delà nature et culture. 15 Le désespoir, faut vivre avec. Par rapport aux travaux des historiens, l’intérêt des ethnologues à cet égard est fondé sur la perplexité et l’étonnement de découvrir encore vivaces des attitudes et des coutumes qu’on aurait pu penser relever d’un passé très ancien à une époque – la fin du XIXe siècle – par ailleurs très rationaliste et dans laquelle la distinction entre nature et culture paraissait aller de soi sur un plan épistémologique pour les élites européennes. Et trop de déceptions derrière soi. Ceci dit, le XIXe siècle est aussi celui de la colonisation, du commerce mondial, où l’Occident s’impose. Comment expliquer cette primauté ? Quand on considère un objet, on n'y trouve nulle part d'entité, seulement des parties interdépendantes. La spiritualité apparait dans notre vie dès que nous commençons à porter attention à nos insatisfactions et nos aspirations, à nos sentiments et sensations, et que nous nous demandons quelle est véritablement le sens de notre vie. Pour des raisons évidentes, mes orientations personnelles jadis militantes cherchaient à transformer l’état du monde dans lequel nous vivions par l’action syndicale et politique directe. Peut-on distinguer des périodes et lieux où l’un des modèles serait plus dominant, parmi d’autres ? Philippe Descola : Oui, mais ils ne systématisent pas, c’est ça la différence. Il y a d’abord le fait qu’ils offrent une vie de famille clairement reconnaissable, avec les jeux de séductions dans la formation des couples, la construction d’un foyer, les soins des adultes aux enfants, le tout couplé à un dimorphisme sexuel généralement très net qui évoque les différences de vêtement et de parures chez les hommes et les femmes ; il y a aussi le fait que l’ontogénèse se fait selon des étapes clairement marquées comme chez les humains, avec des changements physiques importants ; il y a enfin, la communication sonore et, avant les éthologues qui se sont intéressés à cette question, il est probable que la plupart des humains se soient rendus compte que, comme le langage humain, le chant des oiseaux est transmis par apprentissage, se caractérise par des variations dialectales au sein d’une même espèce, des modifications des messages selon que des congénères soient présents ou non… Ce sont des choses qui sont disponibles à l’observation. Il y a un roman de Maurice Genevoix que je trouve très instructif de ce point de vue, c’est Raboliot (1925) où Genevoix exalte la vie libre d’un braconnier de Sologne. Pour des périodes comme le XIXe siècle c’est possible, Marx l’a fait pour l’économie et pas mal de gens l’ont fait pour les institutions politiques, mais réduire cette diversité à une ontologie est beaucoup plus délicat. 11 Peter Singer, La libération animale, Paris, Payot, 1975. RH 19 : Saisir la contradiction des sensibilités, c’est effectivement une question qui nous paraît centrale pour penser la situation du XIXe siècle. Sa beauté, son courage, sa patience et son sens élevé du sacrifice qui sont tels que bien des hommes en sont indignes ! L'anthropologie n'a pas encore pris la mesure de ce constat : dans la définition même de son objet – la diversité culturelle sur fond d'universalité naturelle –, elle perpétue une opposition dont les peuples qu'elle étudie ont fait l'économie. Ce sont donc des prototypes totémiques qui, à l’époque où ils vivaient sur la terre, n’avaient pas du tout l’apparence des oiseaux tels qu’ils sont actuellement et qui sont à l’origine des deux classes au sein desquelles les humains et les non humains sont réunis. 7 L'espoir est ce qui nous fait tenir, lorsque tout semble perdu d'avance. Franck Ntasamara. On peut faire le même constat pour l’Afrique9. Selon une étude publiée mercredi dans "Nature Communications", la probabilité pour un malade homme d'être hospitalisé en soins intensifs est presque trois fois plus élevée que pour une femme. Quand on est très admiratif, on a une facheuse tendance à se sous-estimer. Il est conçu comme un partenaire social avec lequel des rapports de compétition et de solidarité sont possibles, conçu comme un beau-frère générique, comme un séducteur aussi, donc animé d’une intentionnalité, en tous cas d’une agency intentionnelle très proche de celle des humains et en même temps qui s’en distingue en vivant dans un monde bien différent, celui de la canopée, monde qui est l’actualisation des dispositions physiques logées dans son corps. C’est pour moi un grand livre qui a beaucoup contribué à me faire découvrir l’historicité du rapport à la nature. La problématique est celle du rapport de l'apparence à la vérité (et plus généralement celle du lien entre poésie et pensée, entre littérature et philosophie), qui apparaît transformé en profondeur dans leurs … Collection Bibliothèque des Sciences humaines, Gallimard Parution : 15-09-2005. De même, ces conceptions ne permettent pas de prendre en compte le rapport intriqué que nous avons établi avec de nouveaux non humains, depuis les machines cognitives et les robots jusqu’au climat et aux organismes génétiquement modifiés. TOP 10 des citations espoir (de célébrités, de films ou d'internautes) et proverbes espoir classés par auteur, thématique, nationalité et par culture. Derrière cette légende il y a la dénonciation de l’exploitation physique et prédatrice, et à mesure que les capacités des colonisateurs évoluent sur le plan technique l’usage auquel on destine la graisse change. - Le Rock a le blues. Ce projet a abouti en 2005 à la publication d’un grand livre, Par-delà nature et culture, dont les historiens n’ont sans doute pas encore tiré toutes les conclusions pour nourrir leur propre réflexion. RH 19 : Pouvez-vous préciser les conséquences qu’a eu l’affirmation de la cosmologie naturaliste sur l’organisation sociale, est-il possible de voir les effets de ces grands partages dans le quotidien des populations, notamment au XIXe siècle où ils semblent se durcir ? Au départ c’était un phénomène spécifiquement andin. Philippe Descola, « Les animaux et l’histoire, par-delà nature et culture », Revue d'histoire du XIXe siècle, 54 | 2017, 113-131. Ce sont trois concepts très anthropocentriques qui doivent être profondément remaniés si on souhaite échapper aux impasses de l’individualisme possessif, c’est-à-dire à cette idée que les acteurs de la vie sociale sont des humains propriétaires d’eux-mêmes, capables d’instaurer des dynamiques d’appropriation et d’échanges entre eux et le reste du monde. URL : http://journals.openedition.org/rh19/5191 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.5191, Voir la notice dans le catalogue OpenEdition, Nous adhérons à OpenEdition Journals – Édité avec Lodel – Accès réservé, Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search, Les animaux et l’histoire, par-delà nature et culture. Dans un autre registre, moins massif, certains occidentaux ne se sont-ils pas mis à l’école des autres ontologies pour subvertir la vision du monde occidental ? La guerre civile quand ce sont des mercenaires venus de l’étranger qui ravagent villages et campagnes. Genre : Études et monographies J’ai proposé des principes qui me paraissaient pertinents pour comprendre quand même pour l’essentiel la vie des collectifs non modernes extérieurs à l’Europe, mais j’ai été très intéressé de voir que des historiens se sont emparés de ces propositions pour étudier empiriquement des périodes particulières ; j’ai été intéressé de voir par exemple une très belle thèse d’un élève de Jean-Claude Schmitt sur l’animalité au Moyen-Âge5 où il périodise précisément les conceptions ou le traitement de l’animal, en montrant le passage d’un champ typiquement analogiste aux prémices du naturalisme. ], De la préhistoire aux missiles balistiques, Paris, La Découverte, 2004, p. 329-344. Il n’y a qu’en Occident que l’on invente la révolte du peuple. Cet ouvrage qui a exercé une grande influence repense en effet en profondeur notre cosmologie naturaliste et en rappelle le caractère relatif. Il s’agissait de spectacles appréciés tant par le peuple que par l’aristocratie. 29 « Pour bien comprendre la véritable nature de la création, il faut se rappeler qu’il n’y avait pas ; 31 Bien plus, l’acte artistique ainsi conçu assimile peintres et musiciens à des dieux, et les rapproche de l’acte créateur originaire. Le rapport à l’animal est un bon exemple de cette très grande variété. Vous semblez prudent dans votre appréciation des enjeux contemporains et pourtant vous soulignez également les profondes contradictions socio-écologiques de notre ontologie moderne ; vous avez d’ailleurs organisé un colloque sur l’« anthropocène » au collège de France à l’occasion de la préparation de la COP 21. Dans le colloque sur l’anthropocène que vous mentionnez, ma conférence insistait sur l’existence de trois concepts fondamentaux dans le naturalisme et dans notre rapport actuel à l’égard des non-humains : l’appropriation, l’adaptation et la représentation. L’urubu, le vautour noir du Mexique, est assez souvent un double de la personne humaine – il y en a d’autres ; il naît en même temps qu’un humain, se développe aussi et tous les accidents qui pourront lui arriver se répercuteront sur les humains, de même que les accidents qui arrivent aux humains se répercuteront sur lui. AccueilRevue d'histoire du XIXe siècle54DossierLes animaux et l’histoire, par-de... Entretien réalisé le 15 janvier 2016, au collège de France (Paris), par Quentin Deluermoz et François Jarrige. L’histoire comme causalité antécédente des événements et condition du futur, la société comme un ensemble composé seulement d’humains transformant une nature extérieure à elle, l’économie comme un domaine séparé du reste de la vie sociale, toutes ces notions, si centrales dans le processus d’objectivation de la trajectoire historique de l’Europe et fondements jusqu’à aujourd’hui des sciences sociales, sont extrêmement déformantes pour comprendre des réalités extra-européennes. Le XIXe siècle, siècle de l’industrialisation, de la rationalisation technique, de l’émergence des sciences sociales et des idéologies du progrès est donc à l’évidence un temps d’accomplissement du « grand partage » que vous évoquez. Voici comment je conçois le travail des intellectuels. Les recherches en histoire environnementale, autour des premières réserves naturelles en particulier, ont joué un rôle important dans ces réflexions sur le partage et l’hybridation des ontologies à partir de recherches empiriques concrètes. La production de l'olive est biennale: cela veut dire que la … Pour plus d’informations et pour en paramétrer l’utilisation, cliquez ici.En poursuivant votre navigation sans modifier vos paramètres, vous consentez à l’utilisation de cookies. À l’époque cette intuition restait évidemment mal formulée, mais c’est elle que j’ai cherché à creuser dans tout mon travail ultérieur. Sous-catégorie Dès le début cette interrogation était présente. La mort existe, Seigneur. Mais les grands classiques de l’anthropologie historique de la Grèce que je lisais à l’époque, comme Gernet, Vernant, ou Vidal-Naquet, ne semblaient pas particulièrement s’intéresser à cette question, même si Vidal-Naquet avait écrit sur le gibier et le chasseur. Mais le fait de vivre dans une maison ou vaquent en liberté de nombreux animaux d’espèces très différentes, qui interagissent entre eux et avec les humains, constituait une expérience tout à fait nouvelle. Il s’agit d’une histoire longue. Élaborer des modèles implique de retenir des faits qui paraissent les plus pertinents pour qualifier un collectif, une période, une société, une civilisation, et d’en éliminer d’autres avec un certain arbitraire. Les solutions les plus communes pour en sortir ne me paraissent rien changer ; je pense à l’extension de la conception ancienne de la représentation à d’autres êtres comme les animaux qui présenteraient quelques caractéristiques communes avec les humains – soit de type cognitif soient en termes de sensibilités – comme le propose par exemple le philosophe Peter Singer, auteur en 1975 d’un célèbre ouvrage sur La Libération animale11. Il faut un dispositif collectif de ce type pour que cela coagule. Il me semblait que s’il existait une telle continuité entre les observations des premiers chroniqueurs du XVIe siècle, celles des observateurs du XIXe siècle, et les modèles de l’« écologie culturelle » ou de la sociobiologie du milieu du XXe siècle, cela signifiait qu’il existait une relation très singulière à la nature, et que celle-ci appartenait pleinement à la vie sociale. Vous, le géant du show-biz, qui avez si souvent allumé le feu, vous avez décidé d'abandonner votre corps malade. 10 Philippe Descola, Les lances du crépuscule. Un exemple emblématique est la mise en ligne par Google d’un volume important de messages diffusés dans les forums Usenet. Or, on voit bien au XIXe siècle que des temporalités complexes s’imbriquent, et vos remarques sur l’histoire de longue durée de l’Amérique du sud le montrent bien. Même un anthropologue anarchiste comme Pierre Clastres est alors passé à mon avis à côté de cette question du rapport aux non-humains, c’était quelqu’un de compliqué, proche de « socialisme ou Barbarie », mais qui demeurait très socio-centré. "Après tout, il doit être assez agréable de se donner à soi-même, et de donner aux gens, par le seul fait de se déboutonner, la sensation de découvrir l'Amérique. J’ai appelé cela un « scandale logique », c’est du moins ainsi que cela apparaissait aux yeux des contemporains, et c’est ce scandale pour la raison qui a été en grande partie à l’origine de la réflexion anthropologique. RH 19 : En France, ce tournant des animal studies semble plus tardif que dans le monde anglo-américain, comment l’expliquer ? Raboliot et d’autres figures comme lui vivent dans un certain isolement, ils n’ont pas les moyens de systématiser une culture animiste car il faut être beaucoup pour échanger et produire des sous-cultures. Et pouvez-vous expliciter en quoi notre cosmologie naturaliste instaure un nouveau régime d’existence des bêtes ?
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